Cabinet en toute curiosité

Si pendant plusieurs années il était passé de mode ou plus exactement relégué au fin fond du grenier avec l’étiquette “kitch”, il revient en force. De plus en plus de marques remettent au goût du jour des objets hétéroclites avec l’étiquette “façon cabinet de curiosités”. Ainsi corbeaux, têtes de morts, bougies, objets religieux… fleurissent dans les vitrines. Mais qu’en est-il vraiment ? Doit-on céder à la mode ? S’adapte-t-il à notre mode de vie ? Décryptage de ce phénomène qui remonte au XVIème siècle.

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Animal, végétal et minéral

Si nous regardons que la partie historique du cabinet de curiosités, il remonte au XVIème et XVIIème siècle et il correspondait à nos musées actuels. A comprendre des lieux où l’on collectionne et présente une multitude d’objets rares et donc étranges pour l’époque. Se côtoyaient à l’époque, les trois principaux règnes : animal, végétal et minéral. À cela se rajoutaient quelques réalisations humaines d’une grande rareté. Les princes, la noblesse ou la grande bourgeoisie étaient très friands de ces cabinets et n’hésitaient pas à les montrer à toute personne se présentant avec une lettre de recommandation. Puis à l’époque des grandes explorations, au XIXème siècle, ces cabinets se sont enrichis avec des objets provenant des voyages, des expéditions archéologiques et des colonies.

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Cabinet de curiosité M, prix sur demande.

À mi-chemin entre l’amassage et les collections, les cabinets de curiosités ont gagné auprès d’une autre couche de la population qui était les scientifiques : médecins, savants, scientifiques… À la fois entre souvenirs et projets d’études scientifiques, les étagères se remplissaient de bocaux de formol, animaux empaillés, ossements… Même si ces cabinets étaient une représentation très personnelle, il y a une pièce commune à beaucoup d’entre eux : le crâne. Cette pièce était la représentation de la vanité, un thème cher à Shakespeare. Loin, donc, de représenter le côté macabre que l’on pourrait donner comme signification aujourd’hui.

Le cabinet de curiosités est à la fois un lieu et un meuble. En effet, les propriétaires de certaines demeures possédaient une pièce dédiée à l’exposition de ces objets. Pour d’autres, ils se contentaient d’un meuble, plus ou moins grand, qui renfermait leurs trésors. Le point commun à tous ces cabinets, c’est que leurs propriétaires étaient des hommes. Cela peut paraître antinomique dans la mesure où l’homme ne raffole pas d’une manière générale de l’accumulation des choses contrairement à la femme. Certaines mauvaises langues diront que le cabinet de curiosités de la femme, c’est son dressing !

Cabinet

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Sophie Negropontes
et Hervé Langlais

Afin d’en savoir plus sur le cabinet de curiosités et surtout comprendre comment il se perçoit de nos jours, nous avons rencontré le designer Hervé Langlais et la galeriste Sophie Negropontes. C’est justement dans cette galerie que sont présentées, en ce moment, les œuvres de Hervé Langlais (exposition « Reflets décalés »). Un jeu d’illusions, de perception, de regards qui se donne à voir dans des effets de démultiplications de formes, de volumes décalés, de mouvements graphiques. Probablement un avant goût du cabinet de curiosités de demain.

Quelle serait la définition du cabinet de curiosités ?

Sophie Negropontes. Pour moi le cabinet de curiosités, si on revient aux racines, c’est l’ancien musée, le début d’une collection. Il représente deux choses, à la fois un objet et à la fois un lieu. Le lieu regroupe une collection presque hétéroclite, diverse, issue de voyages extraordinaires… Ce regroupement d’objets n’avait pas forcement de liens les uns aux autres excepté la passion du collectionneur. Ce cabinet a pris forme au moment de la Renaissance. Par la suite c’est devenu un objet, un petit cabinet, dans lequel on mettait des choses précieuses pour la personne. Pour moi le cabinet de curiosités, si on étire la définition à maintenant, serait un regroupement d’objets très personnels et qui caractérisent la personne.

Hervé Langlais. C’est la face cachée de l’homme. C’est tout ce que l’homme se réserve pour lui, un côté jardin secret. On y met tout ce que l’on ne veut pas montrer, ou dévoiler, aux autres. C’est assez personnel, donc on ne l’ouvre pas à tout le monde. On emmène les gens dans une histoire que l’on ne veut pas ouvrir à tout le monde. C’est un peu l’âme de la personne.

« Ce serait un regroupement d’objets très personnels et qui caractérise la personne. »

Il était tombé en désuétude, pourquoi ce retour en force ?

Hervé Langlais. Sans être passéiste, il y a un retour aux traditions. Le barbier en est un exemple, les hommes y retournent. Il y a un besoin de s’entourer d’objets du passé. Le cabinet de curiosités est une forme de parallèle. On ne va pas y mettre des objets de confection mais des objets particuliers avec une forte identité. À l’inverse des objets manufacturés, industriels qui nous entourent. C’est un retour à une sélection de pièces d’origine où l’on va mettre des sentiments dedans.

Sophie Negropontes. Les gens cherchent plus maintenant, qu’il y a quelques années, des choses personnelles à s’entourer, des choses différentes. C’est vrai dans le mobilier, c’est vrai dans la rénovation des appartements. Je pense que le cabinet de curiosités c’est quelque chose de très personnel et que l’on partage avec un groupe d’individus proches comme la famille ou les amis. Les gens ont besoin d’avoir quelque chose qui les caractérise et dans lequel ils se retrouvent. Ce besoin de posséder quelque chose d’unique est un moyen de montrer son unicité.

Quel serait le cabinet de curiosités moderne ?

Hervé Langlais. Peut-être qu’il serait en ligne ! Le monde a exploré, je le vois dans le monde parallèle qu’est internet et les nouvelles technologies. Maintenant que mettre dedans ? C’est à chacun d’y trouver son monde extraordinaire ! Et je ne parle pas de la conquête de l’espace.

Sophie Negropontes. Je pensais aussi à l’espace et à sa pierre lunaire. Mais on n’y est pas encore.

Hervé Langlais. Dans la bizarrerie, l’étrange ou bien encore le sexe seraient également des pistes à étudier. L’étrangeté est dans la bizarrerie de chacun.

Sophie Negropontes. Le cabinet de curiosités moderne serait plus accessible à tous. Comme une concentration d’objets très personnels sans avoir de notion de valeurs financières, comme l’étaient les anciens cabinets de curiosités, mais une valeur sentimentale.

« C’est un retour à une sélection de pièces d’origine où l’on va mettre des sentiments dedans. »

Quels conseils donneriez-vous pour en réaliser un ?

Hervé Langlais. Déjà se poser la question où s’arrête la collection et où commence le cabinet de curiosités.

Sophie Negropontes. Le cabinet de curiosités est une collection au départ, il ne faut pas l’oublier ! Mais c’est surtout le lien personnel que l’on a avec les objets.

Hervé Langlais. En fait il n’y a pas de limite. Cela peut être une enveloppe avec 2 ou 3 lettres jusqu’à la pièce remplie !

Sophie Negropontes. Il faut déjà le démarrer ! Peu importe comment. Le cabinet de curiosités, comme la collection, implique un regard autre. C’est-à-dire que l’on investit les objets de quelque chose. La mise ensemble de ces objets leur créent des liens qui deviennent personnels. Et qui vont s’enrichir au fur et à mesure.

Y a-t-il un thème de prédilection ou tous les thèmes peuvent-ils être utilisés ?

Sophie Negropontes. Il est personnel à chacun. De plus, il n’est pas forcément morbide. La Vanité, à savoir le crâne, à la Renaissance était quelque chose de très banal et n’avait aucune connotation morbide. Et les animaux empaillés, c’est la même chose ! C’était un moyen de ramener et conserver des animaux que l’on n’avait pas l’habitude de voir et que les explorateurs ramenaient de leurs voyages. Donc aucune obligation d’aller chez un taxidermiste ou une brocante pour acheter animaux ou crânes pour commencer un cabinet de curiosités.

« Le cabinet de curiosités, comme la collection, implique un regard autre. »

Quelles seraient les fautes de goût à ne pas faire ?

Hervé Langlais. Il faut être le plus sincère possible avec soi-même. Si vous n’êtes pas chasseur, n’achetez pas des têtes de cerfs ! La faute de goût serait de copier ou singer un cabinet de curiosités de quelqu’un d’autre. Idem si vous voulez refaire chez vous un intérieur façon 19ème siècle, mais on passe à côté de la définition du cabinet de curiosités. C’est de la copie.

La tendance du design épuré, contemporain peut-il accueillir le cabinet de curiosité ?

Hervé Langlais. Pourquoi pas ! C’est Alice au pays des Merveilles, c’est une porte que l’on ouvre sur un monde très personnel. On peut avoir un appartement très épuré et rentrer dans une pièce où l’on passe dans un autre monde. Au contraire, ce passage d’univers peut-être très intéressant et très étonnant.

Sophie Negropontes. Des lignes épurées, géométriques sont effectivement très tendance mais les gens veulent aussi des choses très personnelles. De toute façon quand on a des meubles graphiques avec des illusions d’optique, on a déjà un début de cabinet de curiosités  !

Galerie Negropontes, 60, rue de Verneuil 75007 Paris. www.negropontes-galerie.com