Jean-Philippe Nuel

Jean-Philippe Nuel, signature contemporaine

Architecte d’intérieur spécialisé dans l’hôtellerie de luxe, Jean-Philippe Nuel signe des réalisations contemporaines, inspirées, évidentes. Confidences de ce concepteur de lieux de vie, de rêves qui propose une expérience unique pour le client. 

Beaucoup de vos projets sur 2014 et 2015 font référence au passé, Molitor, Hôtel Dieu de Marseille, Hôtel Dieu de Lyon, hasard ou véritable choix de votre part ?
Effectivement dans notre métier il y a une part de hasard. On ne choisit pas les projets c’est eux qui viennent à nous. Dans mon cas il y a aussi une part de paradoxe car j’ai une signature contemporaine et je me retrouve presque spécialisé sur ces lieux patrimoniaux. Mais c’est toujours un vrai plaisir parce que j’aime mixer les écritures, j’aime travailler sur cette stratification du projet. On retrouve ce phénomène dans les villes. J’aime les villes où l’on sent les époques qui viennent se mêler les unes aux autres.
On pourrait parler de Paris mais l’exemple de Rome est plus caractéristique. Toutes les époques sont les unes sur les autres. C’est ma ville préférée de l’Italie car elle n’est pas mono période ou mono culture. Et pour en revenir à mes différentes réalisations, c’est la même sensation. J’aime toucher le passé avec une écriture contemporaine, effectuer un dialogue entre les deux écritures. Les monuments patrimoniaux sont notre passé, notre culture, notre histoire mais ce n’est pas pour autant qu’on a envie de vivre au 18ème ou 19ème siècle !
C’est pour cela que je n’ai pas une approche à refaire l’histoire, à créer un décor mais plutôt des lieux qui sont actuels et qui nous ressemblent et ces lieux sont des échos de nous-mêmes. Plus facile d’être en communication et de provoquer des émotions, c’est l’approche que je veux apporter. Le plus important ce n’est pas le vocabulaire mais la grammaire. C’est-à-dire que ce sont les fondamentaux que l’on peut exprimer  d’une manière plus ou moins contemporaine mais de chercher l’inspiration à la source. La partie conceptuelle, on va la chercher dans le projet de base qui va nourrir le projet actuel, pour que l’harmonie se fasse naturellement. On ne doit pas prendre ces projets comme une succession de contraintes sinon nous sommes morts ! Effectivement il y a des contraintes, des choses incontournables. Après, il faut prendre toutes ces choses comme une chance qui va nourrir, inspirer notre travail. Au final, cela ouvre des portes de réflexion et vous fait aller dans des directions qui nourrissent l’histoire du projet.

« Je n’ai pas une approche à refaire l’histoire. »

Si vous deviez dresser un bilan de votre année 2014, quel serait-il ?
J’ai eu de la chance malgré une période qui n’est pas facile économiquement. On a des projets qui s’arrêtent, ou qui reprennent, à cause des contraintes financières. Mais au final on a eu la chance de sortir quelques projets dont je suis vraiment content. Molitor, cela faisait 5 ans que l’on travaillait dessus, évidemment cela a été difficile mais c’est un projet très intéressant à différents points de vue. Je suis très content de l’Hôtel Codet (Paris) que nous venons de faire…c’est la plus personnelle de mes réalisations. Au final je suis très content car nous avons travaillé sur beaucoup de projets intéressants. C’est l’un des avantages de la notoriété, on vous fait plus confiance et donc on vous confie des projets très sympathiques.

2015 commence avec deux belles réalisations, les Cures Marines de Trouville et le bateau Lyrial pour la Compagnie du Ponant, dans quelle direction souhaitez-vous aller pour cette nouvelle année ?
C’est vrai qu’en 2014 nous avons sorti de nombreux projets mais cela est dû au hasard des dates. Maintenant quels sont les suivants… je parlerais plutôt de ligne directrice. Je fais beaucoup d’hôtels pour des groupes ou des chaînes mais au final, ils finissent tous par se ressembler même si chacun a son identité et que nous renouvelons notre vision. Notre travail sur l’hôtel Codet a été un moyen de nous projeter plus loin et d’amener une autre vision de ce que pourrait être un hôtel. Remettre en cause le code hôtelier pour donner une autre vision  aux clients qui vont aller dans ces lieux. C’est une piste où j’aimerais bien continuer à me diriger, à explorer. En résumé, faire des hôtels qui ne ressemblent plus à des hôtels. C’est dans cette ligne de concept et de recherche que je veux aller. Dépasser les modes et les codes, essayer de créer en profondeur. Il faut travailler sur l’architecture intérieure mais, pas seulement sur la décoration intérieure. Changer les volumes, plus grands ou plus petits, pour recréer une émotion différente mais pas seulement en changeant les motifs ou les couleurs. Il faut retrouver les fondamentaux pour explorer des pistes nouvelles.

« Il faut retrouver les fondamentaux pour explorer des pistes nouvelles. »

Quel type de projets rêveriez-vous réaliser ?
Un projet est une alchimie globale. C’est comme un départ d’un grand prix, il faut que tous les feux soient au vert ! C’est assez compliqué. Dans une carrière cela n’arrive pas souvent. Il faut trouver le client qui vous fasse entièrement confiance, il y a souvent de l’affect, il faut aussi le bon projet, à savoir que le lieux possède des qualités architecturales, et aussi un peu de moyens, ça aide, il faut le reconnaître même si on peut faire des réalisations économiques très intéressantes. Bref, cela est très difficile à trouver. Nous sommes comme les surfeurs qui attendent La Vague et quand on l’a on part pour un surf de folie !

À l’inverse, sur quel type de projet vous refuseriez de travailler ?
Je vais refuser des projets qui vont à l’encontre des mes convictions profondes de la façon dont j’aborde mon métier. Cela m’est arrivé une fois à Dubaï où l’on me demandait de réaliser une maison façon “Petit Trianon”, donc très kitch, entièrement faux et bien sûr beaucoup de clinquant. Même avec du recul, cela m’est impossible de le faire cela va l’encontre de ma sensibilité. Autant j’aime être dans le patrimonial mais pas dans le faux.

On vous connaît pour vos réalisations d’hôtels, de restaurants… une forme de “zone de confort” que vous maîtrisez parfaitement. Dans quel domaine aimeriez-vous prendre plus de risque ?
C’est vrai que j’aime bien être confronté à d’autres choses. On l’a fait et on le fait encore ! D’ailleurs on vient de créer une chaîne de fast-foods en France.
En fait les hôtels, c’est un peu le Graal pour les architectes d’intérieur car ce sont des projets qui sont le plus possible aboutis. Ce n’est pas seulement faire de la décoration, mais c’est la réalisation de tout un univers. Dans ce secteur, j’ai une certaine expertise et expérience. Du coup on vient me chercher pour des sièges sociaux. C’est pas, au final, si antinomique que cela. Les sociétés se rendent compte de l’évolution des modes de travail, cela se rapproche un peu d’un hôtel : il y a des restaurants, des salles de fitness, des salles de conférences, des temps de partage avec des cafétérias… et donc l’expertise hôtelière les intéresse. Nous avons, ainsi, réalisé le siège de Sanofi à Lyon mais également la loge présidentielle du Stade de France. Bien que l’on soit interrogé de plus en plus sur des projets divers et variés, on ne va pas non plus renoncer aux hôtels !

« J’ai fait un dialogue entre passé et présent. »

Vous faites très peu de résidentiel, est-ce par manque de temps ou cette activité ne vous attire pas spécialement ?
Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord le temps. Notre agence est un peu grosse pour s’occuper de ce genre de projet car le client demande une grande disponibilité que nous n’avons pas forcément. Ensuite je vérifie leur motivation, s’il connaît nos réalisations, si nous avons les mêmes univers… Mais nous en faisons quand même, en ce moment nous réalisons un appartement à Marseille et une maison à Salon de Provence. Nous avons réalisé un projet très sympa où nous avons eu à faire, en plus, l’architecture de la maison. En tant qu’architecte de formation, ce projet m’a vraiment interpellé. Nous sommes restrictifs, il faut le reconnaître. Il faut que je ressente une vraie envie et un vrai partage autour de valeurs communes. C’est cela le déclencheur.

Il y a un adage qui dit “les cordonnier sont toujours les plus mal chaussés”, est-ce le cas pour votre intérieur ?
Je suis plutôt dans l’optique du plus mal chaussé ! J’ai rénové ma maison mais je dois dire que je m’occupe mieux de mes projets que de ma maison ! C’est indéniable, d’ailleurs je n’ai pratiquement pas fait de plan alors que dans mon travail tout est réalisé au millimètre près. Donc de ce point de vue l’adage est respecté ! Par contre je suis loin d’être à plaindre car je l’ai rénovée entièrement. Un cordonnier mal chaussé mais avec de bonnes chaussures au départ ! Je m’exprime tellement dans mes dossiers que je n’ai pas de manque qui m’obligerait à m’exprimer chez moi. C’est une maison ancienne, comme on peut en trouver dans la région parisienne, mais qui avait été restaurée comme une maison neuve. Donc avec de très grands volumes avec cette fonctionnalité liée aux maisons modernes. En fait, comme pour mes projets patrimoine, j’ai fait un dialogue entre passé et présent. J’ai pu donc utiliser mon vocabulaire contemporain.


Si vous étiez…

Une couleur : le noir même si ce n’est pas une couleur.

Un meuble : un canapé. Non pas pour la forme mais pour ce qu’il représente. C’est une pièce dans une pièce. Vous pouvez regarder la télévision, faire une sieste, travailler… j’aime ce côté multi-usages.

Un luminaire : la lampe Arco de chez Casteglione. On la revoit trop mais c’est une pièce à laquelle je suis attaché car elle était chez mes parents et j’ai grandi avec. C’est un peu l’archétype de la décoration des années 70 et d’ailleurs elle était posée sur une table Knoll. Je l’ai prise mais elle n’est pas sur la table mais je l’ai mise au-dessus du canapé. Même si elle fonctionne mal, j’ai un attachement sentimental.

Une pièce de la maison : la salle de bains. C’est un thème important même dans mes réalisations. C’est l’endroit où il y avait beaucoup de choses à faire, à repenser comme une véritable pièce à vivre.

Une matière : en fait, j’aime les matières qui sont vraies. J’aime certains cuirs, bois ou même l’acier. C’est pour cela que je ne peux choisir une seule matière. Ce qui fait la qualité d’une matière par rapport à une autre, c’est le toucher tout simplement.


Vous ne voudriez absolument pas être…

Une couleur : Il n’y en a aucune que je réfute complètement. Le problème des couleurs c’est qu’elles sont très connotées à la mode. C’est pour cela que dans mes réalisations, les couleurs sont traitées par simples touches. Il y a des couleurs que l’on a aimées mais qu’on ne peut plus voir en peinture. La couleur rose saumon des années 70, là je n’aurai pas de mal à dire que j’ai du mal avec cette couleur…même si je ne renie aucune couleur !

Un meuble : un repose-pied.

Un luminaire : là, il y a l’embarras du choix ! Il y a tellement de choses horribles. Il y a des magasins qui se sont spécialisés dans les luminaires…lorsqu’on rentre à l’intérieur c’est le concours des horreurs, du mauvais goût, des mauvaises proportions…

Une pièce de la maison : le couloir. C’est l’endroit où l’on ne fait que passer et je préfère les endroits où l’on reste. C’est aussi dû au fait que les couloirs des hôtels sont très difficiles à travailler. Sauf pour Molitor ! (cf : le pan du mur du couloir qui dessert les chambres est entièrement en baies vitrées)

Une matière : un plastic faux cuir ! On est obligé parfois d’en utiliser pour des raisons de sécurité, d’hygiène…


Focus : dans les pas de Jean-Philippe Nuel.